Oser aborder la naissance avec nos enfants

Par Cynthia Durand

J’avais 22 ans, un diplôme en poche et le goût de voyager. C’est en réponse à une offre d’emploi promettant « des aurores boréales à profusion » que j’ai décroché mon premier poste permanent comme éducatrice à la petite enfance au pays des bisons sauvages.

Une mère bien embarrassée

Vendredi 16 h 30. L’un après l’autre, les enfants rentrent à la maison. Une mère vient me voir avec une tête embarrassée – et embarrassante – qui augure mal. Qu’est-ce que Zalia, sa fille de quatre ans, a bien pu lui raconter? Qu’avais-je fait de mal? Elle insiste pour me parler à l’écart d’un « sujet délicat » :

  • Zalia m’a demandé, euh, elle veut savoir, euh, par où mon bébé va sortir?…
  • K…. (Il me semble que ce n’est pas mon département!)
  • Je lui ai dit par là, murmure-t-elle du bout des lèvres en pointant.
  • Cette chère maman n’avait pas tort de répondre avec simplicité et honnêteté aux questions de sa fille.

À mon avis, le temps des cigognes et des choux est dépassé, les enfants sont intelligents; mettons de côté les tabous. Sauf que notre discussion ne s’arrêtait pas là :

Zalia m’a demandé si ça ferait MAL, quand le bébé passerait par le trou!?

Ma mère c'est la plus forte

Une réponse à ses questions

Pauvre femme, vous auriez dû voir le souci dans ses yeux, l’inquiétude de traumatiser sa fille, le malaise suscité par ces questions indiscrètes. Et moi, jeune vagabonde de 22 ans, j’étais loin d’avoir une quelconque réponse à ses questions.

Bien sûr, aujourd’hui, je lui prêterais mon exemplaire de Ma mère, c’est la plus forte – une histoire sur la naissance. Mais ce livre (3ans+) n’a vu le jour que très récemment, après que j’ai moi-même cherché en vain « le » livre pour parler d’accouchement avec mon grand qui attendait avec curiosité la naissance de sa petite soeur.

Pourquoi expliquer l’accouchement à des enfants?

Publier un livre en 2015, c’est un peu comme rêver de jouer pour la LNH : beaucoup de passionnés, peu d’élus. Les gens en général (sauf ma mère, bien sûr) n’y ont pas cru à mon livre. Pourquoi expliquer l’accouchement à des enfants?

Peut-être parce que, comme le disait la sage-femme Isabelle Brabant dans l’avant-propos de notre album: « Il me semble important que les enfants sachent comment les bébés viennent au monde, dans ce que cela a de plus universel et intemporel. »

Je veux aussi que mes enfants prennent conscience du génie du corps humain. Lorsqu’ils se blessent et qu’on applique un pansement, ce n’est pas le pansement qui guérit, c’est le corps qui fait le travail. Lorsqu’une femme donne naissance, qu’importe la technologie ou le praticien, c’est encore avant tout son corps qui fait le travail.

Un livre pour enfant avec une femme nue

Aujourd’hui, je suis assez convaincue (vous mettrez un commentaire sous ce billet si je me trompe) qu’il n’existe pas d’autres livres comme celui-ci sur la naissance. Un livre pour enfant avec une femme nue?! Oui… mais en toute décence, en toute complicité, sans trop entrer dans son intimité.

J’ai trouvé l’illustratrice idéale avec qui faire équipe : une autre mère ayant accouché à la maison et qui souhaitait, tout comme moi, briser les stéréotypes – pas de femme couchée sur le dos (une position d’accouchement assez récente dans l’histoire de l’humanité et pas vraiment ergonomique), ni d’acte médical. Notre livre, c’est la femme qui accouche. Point.

cynthia

D’une édition personnelle à une l’auto-édition

J’ai d’abord réalisé un livre sur la naissance pour mon fils. C’était une version très personnelle : des mots simples, des croquis réalisés par ma main maladroite et quelques couleurs. J’ai photocopié cette édition maison pour quelques amis, je ne savais pas encore où ce projet me mènerait.

Je me suis rendue au Salon du livre de Montréal. J’y ai rencontré des auteurs, des illustrateurs, des éditeurs; j’ai questionné, démystifié, analysé. Je me suis inscrite à une formation sur l’édition de livre. J’avais la flamme entrepreneuriale et une idée assez claire de mon projet.

Le cap du 500e exemplaire

L’industrie du livre est un monde à part et s’y tailler une place n’est pas facile. Atteindre le cap du 500e exemplaire vendu, montre un succès commercial, c’est une belle réussite. Surtout, chaque commentaire, allant de « Merveilleux » à « Ma fille me le redemande », est une petite Coupe Stanley qui me va droit au coeur.

Cynthia Durand

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